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DAUMAS, Vincent

En préparation de doctorat, Université Rennes 2. “De l’écuelle au manuel. Connaissances et reconnaissances des techniques minières et métallurgiques dans les Andes méridionales, XVIIIe siècle”

Mon projet de thèse vise à réaliser une anthropologie historique des techniques et des techniciens mineurs et métallurgistes dans les Andes méridionales (plus ou moins la Bolivie actuelle) à la fin de la période coloniale espagnole, tout particulièrement au XVIIIe siècle.

Partant du constat du manque d’études historiques sur ces techniques qui donne une véritable place aux approches sensibles des acteurs et aux mobilisations et utilisations des savoirs qu’ils en font, je m’appuie sur l’historiographie européenne sur les techniques à l’époque moderne (Hélène Vérin, Liliane Hilaire-Pérez, Anne-Françoise Garçon notamment), mais aussi sur les concepts de l’anthropologie et de la sociologie des techniques et savoirs (Marcel Mauss, Steven Shapin, Bruno Latour, etc.). Cela me permet d’approcher les conceptions, usages, caractérisations, modes d’invention et d’innovation que les acteurs ont des techniques qu’ils emploient, mais aussi des formes de mobilisation, d’instrumentalisation et d’insertion de ces savoirs dans une stratégie plus ample de mise en avant de ses intérêts conduisant à la revendication d’un certain statut d’expert.

Les sources que j’emploie sont fondamentalement de trois types. Premièrement, des sources administratives, conservées essentiellement en Espagne, qui relatent des propositions d’inventions, des débats techniques, des demandes de reconnaissance et de privilège. Deuxièmement, des sources judiciaires, conservées avant tout en Amérique du Sud, qui révèlent les emplois quotidiens des techniques, mais aussi leur emploi pour favoriser des intérêts économiques et sociaux. Enfin, divers écrits et traités techniques, rédigés par les propres praticiens, décrivant plus en détail leurs usages, les caractérisations et figurations spécifiques.

Pour le moment, ma thèse s’organise autour de cinq thèmes principaux, qui constituent cinq grands chapitres.

Dans un premier chapitre, il s’agit de s’interroger sur les catégories socioprofessionnelles existantes dans l’exploitation des mines et le traitement des minerais : voir les différents postes de travail, le degré de spécialisation ou la nature des connaissances qu’ils exigent, mais aussi les passerelles en termes de hiérarchie, de statut ou d’occupation qu’il est possible de trouver.

Le deuxième chapitre se veut plus analytique sur les savoirs en eux-mêmes, leurs origines dans la pratique quotidienne et manuelle, les conceptions sur les minerais et leur réaction (au XVIIIe siècle en transformation progressive de l’analogisme au naturalisme, pour reprendre les ontologies descoliennes), mais aussi les manières de présenter par écrit ces techniques, sous forme de littératures artisanales et d’outils de figuration (mathématiques, géométrie et dessins) destinés à l’usage concret.

Dans un troisième chapitre, l’objectif est d’étudier les chemins de l’innovation, tout d’abord par la mobilisation d’écrits et de souvenirs antérieurs, mais aussi et surtout par les relations au reste de la communauté technique : les rapports aux autres acteurs de l’industrie minière, depuis les savants les plus reconnus jusqu’aux ouvriers indigènes, est essentiel et explique un certain nombre d’échecs, à savoir lorsque les partages sont rendus impossibles par de trop fortes divergences d’intérêt.

Alors que les deux chapitres précédents se centraient avant tout sur la propre nature des savoirs et de leur évolution, le quatrième porte sur les modes de validation et de mobilisation des techniques : comment un technicien fait-il pour faire reconnaître la valeur de ses savoirs ? Cela passe par la mobilité, afin de s’installer dans un lieu qui n’a pas connaissance de ces savoirs, mais aussi par les modes d’expérimentation, les stratégies éditoriales de diffusion et enfin un entremêlement de relations sociales permettant de constituer une communauté technicienne dont l’honorabilité appui la validation des savoirs.

Enfin, le dernier chapitre se centrera sur les propres acteurs, sur leurs stratégies de reconnaissance individuelle et collective non plus seulement de leurs savoirs, mais aussi de leurs personnes sous un statut d’expert. Il s’agira donc de s’interroger sur les mots et postures associées à cette expertise, aux stratégies d’autopromotion et de reconnaissance individuelle par l’obtention de privilèges ou d’autres avantages. Enfin, cette reconnaissance peut se faire collective, tout particulièrement quand il s’agit de défendre la valeur des savoirs locaux contre la science et la technologie européenne issue des Lumières, les deux ensembles s’articulant dans des débats politiques plus amples dans le contexte de l’émergence d’un “patriotisme” américain contre les prétentions des Espagnols péninsulaires, à la veille des guerres d’Indépendance.

Ce projet de thèse s’intéresse donc aux techniques minières et métallurgiques non pas tant pour elles-mêmes que pour les conceptions et usages que les acteurs en font.

 

Province de Potosí, par Pedro Vicente Cañete en 1787

Son mémoire de Master 2 portait sur Les mineurs portugais du Pérou, 1550-1650. Partant du constat du manque d’études sur la catégorie socioprofessionnelle des mineurs (exploitants et propriétaires de mines, et non les travailleurs creusant la roche) et sur les Portugais du Pérou colonial en dehors des grands centres urbains, ce mémoire examinait la présence, la diversité et les activités des mineurs portugais entre 1550 et 1650. De par leur fonction économique, ceux-ci étaient plus favorisés par les lois que les autres étrangers, même si leurs rapports avec les autorités locales, notamment à Potosí, furent parfois conflictuels. Cette situation avantageuse les encourageait à envoyer divers écrits à la Couronne, pour aborder la gestion des mines ou revendiquer leurs mérites. D’un point de vue socioprofessionnel, ils s’avéraient d’une grande diversité, ne se différenciant pas des autres mineurs. L’étude plus approfondie de quatre profils biographiques montre aussi la diversité d’expertise dont ils pouvaient faire preuve, de l’entrepreneur au passeur de connaissances métallurgiques entre l’Europe et l’Amérique, et inversement. La reconstitution de réseaux miniers à Huancavelica et Chocaya (au sud de Potosí) fait aussi apparaître l’importance de la famille et des origines régionales pour structurer les échanges commerciaux, remettant notamment en question la supériorité traditionnellement attribuée aux marchands sur les mineurs. Ce mémoire ouvrait sur l’ensemble de la présence étrangère dans l’industrie minière coloniale, questionnant le rôle de périphérie extractive qui lui est classiquement imparti, et considérant son caractère de pôle commercial, social et technologique, surpassant largement les frontières.

Proposition d’aménagement des mines de Huancavelica par l’ingénieur portugais Constantino de Vasconcellos, 1644, AGI, MP-MINAS, 83

En parallèle de ces activités de recherches, il s’est formé à la médiation de l’histoire, notamment avec un master en Médiation du Patrimoine et de l’Histoire en Europe, à l’université Rennes 2. Dans ce cadre, il a pu affirmer une spécialisation sur le patrimoine minier et sa mise en valeur (en France, en Europe et dans les Andes). Cela s’est concrétisé par un stage de quatre mois à la Maison de la Mine de Locmaria-Berrien (Finistère), musée retraçant l’histoire des mines de plomb argentifère de Poullaouen et du Huelgoat, d’importance européenne au XVIIIᵉ siècle. L’une de ses missions fut notamment de mener des recherches sur les fonderies de Poullaouen, et de faire des propositions de médiation patrimoniale. Par ailleurs, il a contribué à fonder une association de vulgarisation de l’histoire de Bretagne, Rubrikenn Istor Breizh, pour laquelle il écrit des articles de vulgarisation historique.

Machine à colonne d’eau de Juncker, aux mines de Huelgoat, 1832

Connexions sur le TEMPS LONG / Conexiones en el TIEMPO LARGO